Lorsque
Shining appartiendra au passé et que l'on aura une vue d'ensemble de sa discographie, on pourra délimiter deux albums-étapes, soit deux œuvres qui ont apporté une nouvelle pierre à leur musique.
III – Angst avait amené les suédois à se détacher de leurs influences trop prononcées sur I et II, avant de trouver leur voie et à présent nous tenons la deuxième transformation avec VII – Född Förlorare. Un album attendu depuis deux ans, qui a rencontré nombre de problèmes, la faute à leur ancienne maison de disques. Mais qu'importe, l'album tant défendu par Kvaforth et sa bande est là, et il bouleverse bien des choses.
Un bouleversement qui ne se fait pas sentir sur « Förtvivlan, Min Arvede », première piste de facture classique pour du
Shining avec son riff d'entrée lancinant, à la continuité atmosphérique lugubre efficace et au traditionnel break acoustique. La petite fille chantonnant au début n'est-elle aussi que le pur produit d'un Black Metal Dépressif usé jusqu'à la corde. Non, même si cette entrée en matière reste bonne, la surprise ne se situe pas là ; elle est plutôt à chercher du côté du reste de l'album, comme si la suite avait été composée bien plus tard – très possible. Ainsi, la piste la plus étonnante de l'album, « Tillsammans Är Vi Allt », consterne et colle une gifle stylistique assez difficile à encaisser. Sa magnifique entrée au piano – quelle mélodie mes ami(e)s ! - ne laissait en effet guère présager une alternance couplet/refrain reposant entièrement sur le featuring avec Nordman, star de la pop suédoise, qui assure donc les refrains pour un résultat des plus curieux mais non dénué d'intérêt. Bon d'accord, on se croirait par moment dans un album de
HIM, vachement même. Mais le titre est épicé, le featuring est assez bien assuré et surprenant. Notons son intermède central, très ambiancé et qui rappelle l'Ambient d'un
Ulver – en moins poussé quand même. Le morceau divisera mais la prise de risque elle est totale, et donc à saluer.
Et cette prise de risque est la marque véritable de ce VII – Född Förlorare, qui dévoile un autre visage de
Shining. Une prise de risque basée notamment sur le featuring car hormis Nordman nous avons le droit à Erik Danielsson, chanteur de
Watain, venu pousser la guelante sur « Tiden Läker Inga Sår », morceau très moyen dont la rythmique fait sacrément circus diabolique, le diabolique en moins. Le blast infernal amené par ce déferlement de cris est par contre très efficace mais les cris de Erik font vite pâle figure et très vieux retraité torturé – à ce titre, les crachats sont du recyclage pur et dur des anciens opus. Cependant les derniers featurings sont de qualité car – et je suis mauvaise langue – ils ne sont qu'instrumentaux. Chris Amott de
Arch Enemy vient notamment poser sa patte guitaristique ahurissante sur « Människa O'avskyvärda Människa », dont le riff principal est sympathique mais ne relève pas le niveau du reste, terriblement classique pour du
Shining. Là où il intervient c'est au niveau des soli, tout bonnement bluffants d'efficacité et de maîtrise et qui rappellent bien entendu les parties maladives et schizophréniques de
VI – Klagopsalmer. Un featuring qui décoiffe littéralement et permet au morceau d'avoir un certain intérêt, même s'il faut avouer que sans cela, il aurait été bien difficile d'y revenir. Même tout frais payés. Enfin, probablement l'un des meilleurs éléments du skeud, « I Nattens Timma », où Kvaforth est épaulé par Peter Bjärgö d'
Arcana - rien que ça encore – au piano et mellotron pour accoucher d'une piste légère et douce, dont la mélodie saura vous bercer les nuits hivernales. Sincèrement, s'il y a un morceau à retenir de VII – Född Förlorare, c'est bien celui-ci, renversant de beauté simpliste et qui prouve que Kvaforth excelle par instants au chant clair. Très intimiste, très surprenant, à l'image de l'album lui-même, il précède malheureusement « FFF » - traduire 666 pour les gars au fond – dernier morceau un peu cancre de la classe. Pourtant son introduction à la guitare sèche est irrésistible, Kvaforth y va encore d'un chant clair prenant, avant d'exploser en rage typiquement Black Metal Dépressif : le révolté qui hurle sa haine au monde. Trop saturée de passages saccadés sans grand effet, « FFF » évolue ensuite vers, tenez-vous bien, des orchestrations dignes des Walt Disney. Non je ne suis pas dur, jugez par vous mêmes. Le résultat est donc assez risible et l'effet qui était voulu – la peur, atmosphère inquiétante ? - passe à la trappe et on pense plus à Fantasia, dont le thème « Night On Bald Moutain » est en comparaison bien plus saisissant.
Mais
Shining évolue, Kvaforth cherche à construire un autre univers, plus personnel, dont l'aspect maladif avait été entrevu sur
VI – Klagopsalmer, et qui surprend dans son intimisme, sa douceur, et en même temps cette longue plainte du type « à bout de souffle », à l'image de cette pochette – la meilleure de
Shining. VII – Född Förlorare, ou Nés Perdants, est un des essais les plus intéressants des suédois, un des plus personnels, et il réserve bon nombre de frissons à l'auditeur. Ses featurings sont en grande partie pensés avec talent et la propension de Kvaforth à chanter en clair donne un cachet inaltérable à ce septième jet. Les riffs se ressemblent, malheureusement, et l'on trouvera plus son plaisir dans les développements acoustiques et Ambient, qui risquent de devenir le
Shining de demain. Serti de pierres précieuses mais gâché par un or vieillot, tel est ce nouvel album tant attendu, en partie décevant et en partie passionnant, qui amorce un nouveau chapitre de leur histoire, décidément pleine de rebondissements.