Décidément le groupe le plus singulier de la sphère Pagan,
Moonsorrow s'est offert un parcours unique mais non moins déroutant. Il est vrai que les cinq finnois opèrent en terrain dégagé puisqu'il sont manifestement les seuls à proposer du Folk metal progressif, cependant le genre étant vide de repères l'exercice n'en est que plus risqué. Quoi qu'il en soit, cette évolution vers une musique plus progressive et contemplative au fil des albums s'est faite naturellement, et puis rester dans les sentiers battus n'a aucun intérêt. Mais si leur cinquième opus - bien que tout à fait hors-norme et rompant avec toutes les règles conventionelles de la musique moderne - a pu voir le jour et être financé par un label, c'est que la recette audacieuse avait déjà porté ses fruits auparavant. Retour sur un nouveau chef-d'oeuvre incongru, « V: Hävitetty », paru en 2007 dans nos contrées françaises ...
Moonsorrow avait jusqu'alors séduit nombre d'auditeurs à l'aide de compositions longues et méditatives, et avec « Verisäkeet » ont pensait avoir exploité à fond les possibilités offertes par la fusion de deux genres : le Folk metal et le rock progressif. Il n'en est rien, et le groupe qui mentionne Pink Floyd et Dark Throne comme influences majeures n'a pas finit de nous en mettre plein la vue. Et alors même les fans les plus ouverts et les plus confiants en leurs idoles seront déroutés par un album qui, avec deux morceaux pour une durée totale d'une heure, peut paraître un pari impossible à première vu. Qu'est-ce qui a poussé les cinq Finlandais à de telles extrémités ? Rien, « Quand on a commencé à composer notre nouvel album, on avait prévu de faire plus de chansons, six ou sept peut-être », mais voilà que le travail commence, et les mecs se rendent vite compte que leur premier morceau est incroyablement épique. Ils décident alors de se concentrer uniquement sur deux compositions qu'il faudra exploiter pleinement ...
L'exercice n'est pas nouveau pour eux, en témoigne la virtuosité avec laquelle ils font évoluer leurs pièces sans jamais s'écarter du fil conducteur. Car le danger était de trop rapidement tomber dans un enchainement de riffs sans intérêt ni rapport apparent. Ce qui n'est manifestement pas le cas. Cependant certains auront bien du mal à se plonger dans une musique très méditative et progressive , lente dans son évolution mais incroyablement belle. Le fait est que, depuis tout petits, nos oreilles ont étées formatées et habituées à des morceaux courts – dépassant rarement les dix minutes – et généralement rapides, non pas dans le rythme, mais dans la structure. Des morceaux où les transitions sont fréquentes, et où se succèdent mélodies sur mélodies en un enchainement inintérompu qui ne laisse que rarement le temps de s'imprégner réellement de la musique. Et cette vérité est malheureusement vérifiée par la casi-totalité des artistes, que l'on écoute Vivaldi ou
Metallica.
Prenez le temps, vivez lentement et apprenez à apprécier la musique de
Moonsorrow – même si l'introduction dure dix minutes. C'est foutrement chiant ? Peut-être que c'est toi qui ne cesse de penser à ce que tu dois faire ensuite, au temps qui coule et à une infinité d'autres éléments qui occupent ton esprit. Il faut faire le vide, prendre le temps - le temps de savourer les structures complexes et les sonnorités magnifiques qui font « V : Hävitetty ». Cette oeuvre n'en demande pas moins un peu de temps pour se faire l'oreille et saisir toutes ses subtilités ; et le rythme de vie nes hommes d'aujourd'hui fait qu'il est rare de trouver le temps d'écouter un morceau en entier sans porter son attention sur autre chose ...
Qu'en est-il de la musique elle même ? C'est bien du
Moonsorrow, pas d'erreur ; et si leur musique s'est bel et bien métamorphosée dans la forme, dans le fond en revanche on retrouve avec plaisir des sonnorités famillières. La danse est toujours majoritairement menée par un clavier en pleine forme et qui donne à
Moonsorrow toute son envergure, les guitares saturées, elles, sont mises en arrière plan mais restent indispensables par la puissance qu'elles confèrent au tout. Les choeurs épiques chers au groupe sont eux aussi au rendez-vous, se partageant le travail avec un chant Black déchiré qui nous parvien tel un cri de détresse infinie ... En effet l'heure n'est plus à la fête mais bien à la tristesse et au déséspoir, « V : Hävitetty" est album concept sur la fin du monde. [...] Nous traitons du sujet suivant différents points de vue. Dans la première chanson, on aborde le sujet à un niveau plus personnel, et dans "Tuleen Ajettu Maa" le point de vue est beaucoup plus universel, parlant des religions et des destructions que l’homme a engendrées » confie le groupe en Intrerview. De cette manière chaque note, chaque mélodie est un hymne à la nature, à la beauté même.
Jamais la musique de
Moonsorrow n'a été autant progressive, ont ressent d'ailleurs très nettement l'influence de combos comme Pink Floyd dans l'introduction de la première pièce – entrée en matière qui mérite que l'on s'attarde quelque peu dessus. Non pas pour la décrire, je laisse au lecteur la joie (ou non) de cette écoute, mais bien pour souligner son aspect terriblement envoutant et chamanique. Le premier morceau « Jäästä Syntynyt / Varjojen Virta » est donc une véritable perle, précieuse pour sa singularité et délicieuse pour sa beauté indescriptible. La seconde piste « Tuleen Ajettu Maa » est elle aussi d'une beauté inestimable, mais se révèle plus redondante et agressive.
Sachez le tout de même, cette beauté authentique et pure n'est pas faite pour les amateurs de Pagan Black énervé et martial. Désormais
Moonsorrow joue dans une autre école ... A quoi ressembleront donc ses prochaines oeuvres ? On ne peut en avoir la certitude, sinon qu'elles seront faites de surprises et en rien comparables aux précédentes, comme tous les opus de la formation jusqu'alors.
Vous l'aurez compris, l'album se divise naturellement en deux parties bien distinctes. La première se fait plus timide dans son approche et reste globalement assez calme ; s'y mêllent la longue plainte des guitares au chant méditatif d'un clavier atmosphérique pour une musique très imagée. « Jäästä Syntynyt / Varjojen Virta » est un morceau très posé, on ne peut plus apaisant et qui se révèle très planant par moment. Quand les dernières notes de cette première partie enchanteresse ne sont plus qu'une image flottant dans le néant du vide apocalyptique arrive « Tuleen Ajettu Maa ». Ne vous fiez pas à l'introduction de cette seconde partie et à ses ambiances forestières, car bien vite résonne une toute autre mélodie comme porteuse d'un destin funeste. Alors les guitares font leur entrée un peu à la manière d'une « Jumalten Kaupunki » ou d'une « Sankarihauta » et c'est un goût de cendre et de fumée qui prend place. De cette manière le second chapitre de ce nouvel album est d'une toute autre saveur, plus brut et sauvage, plus Black aussi, et les quelques interludes acoustiques qui viendront aérer la pièce ne seront que des secondes de trêve avant la tempête. Tempête qui reste modérée puisque globalement cet opus est bien moins agressif que les précédents ... mais tempête qui aura peut-être plus de mal à passer que le calme qui a précédé, se faisant plus redondante et moins évidente dans sa structure.
Comme
Windir avant eux, les cinq Finlandais de
Moonsorrow jouent une carte risquée. Et si « V : Hävitetty » est un excellent album (en témoigne son succès auprès du publique) il aura évidemment déçu certains fans de la première heure ayant perdu leurs repères. Ce nouvel opus aura créé une division, certes, mais il prouve qu'il existe une autre approche de la musique aujourd'hui – même si dans le metal nombreux sont les groupes qui cherchent à innover.On pourra cependant déplorer que quelques longeurs viennent grossir inutilement la seconde partie, enfin rien de bien grave. Une réussite donc, et un digne successeur à « Verisäkeet » qui promet encore de longues et belles années pour
Moonsorrow.