Désormais valeur sure de la scène extrême hexagonale,
Neige est partout et nulle-part à la fois. Alors qu'il approche de la fin de son service pour
Peste Noire, qu'il enregistre les lignes de chant du nouveau
Forgotten Woods et bien plus encore, le multi-instrumentiste propose au publique le premier album de son projet misanthropique,
Alcest, dont il est l'unique penseur. Un disque que personne n'avait vu venir, qui est l'occasion pour
Neige de faire ses preuves et de prendre quelques distances vis à vis de la scène black underground dans laquelle il a sévi ces dernières années.
Neige dépeint avec poésie un univers mystérieux, où son esprit s'égare et s'abandonne pour dériver éternellement sur le lit harmonieux de l'insouciance. Une monde imaginaire qu'il voit parfois en rêve, une autre dimension où les règles qui régissent notre monde n'ont plus aucune emprise, un paradis intimiste, doux et sucré, réservé à ceux que la mélancolie jette sur ses rivages. Un monde que le shoegaze atmosphérique et planant d'
Alcest restitue dans les moindres détails. Quelque part entre My Bloody Valentine et
Drudkh, le musicien français propose donc quelque chose de relativement nouveau, bien que fortement influencé par la musique d'outre-manche ...
Dans "Souvenirs d'un autre monde"
Neige laisse libre court à sa rêverie et à ses audaces instrumentales, n'hésitant pas à superposer divers sons de guitare dans un même phrasé mélodique. Cascades de six cordes saturées et interludes acoustiques se donnent donc la réplique dans un dialogue nuancé et coloré, entre tristesse et bonheur, entre nostalgie et promesse d'un espoir fou. L'écriture est habile, et dans ce cas tout est possible : le son d'
Alcest sait se faire léger, discret, mais toujours vif et bien présent. En effet,
Neige travaille à la profondeur, à l'emprise de chaque note, chacune mérite son attention. Il pèse leur poids, car la complexité réside dans la difficulté à créer un minimalisme suffisant à lui même. Un peintre qui alourdirait son tableau de multiples enluminures et fioritures baroques n'aurait pas confiance en son thème central ; il en va de même pour la musique, et ça,
Neige l'a bien compris. La sienne est simple en apparence, les mélodies y sont fines et naïves, mais la recherche du son est bien là, et les harmonies – jamais simplistes - sont toujours pertinentes.
Alcest propose donc une musique particulièrement immersive par son intensité, et relativement accessible par un son rock pétillant qui passe sans accrocs. Les sonorités black metal ne sont plus autant présentes que par le passé, et seules des nappes lointaines de guitares saturées honorent les sombres origines du projet. Il s'avère que "Souvenirs d'un autre monde" est un album incroyablement apaisant et rassérénant, qui fait toujours dans la finesse et la beauté, sans pour autant sombrer dans les marécages nauséeux de la facilité musicale.
Tandis que dans le titre éponyme
Neige nous invite à traverser le miroir, un court instant, pour découvrir son univers, dans Ciel Errant il décrit avec une infinie justesse cette mélancolie impromptue qui s'invite parfois dans nos esprits d'enfants, quand on s'y attend le moins. Chaque morceau complète les autres et explore un nouvel aspect du concept, évoquant tantôt une douce brise de printemps, les clapotis d'un ruisseau ou des enfants qui jouent. Les textes poétiques dans la langue de Molière, qui accompagnent la musique, sont mis en avant par un chant haut perché qui s'apparente à celui d'un enfant qui n'aurait pas mué. "Souvenirs d'un autre monde" est une œuvre atypique, à prendre telle qu'elle est, s'en en chercher des défauts. Certains la disent trop puérile, trop niaise et mièvre à leur goûts, ils n'en voient pas le fond. Non, elle est parfaite comme cela, et il serait inutile de tenter de la comparer ou de la modifier. Car finalement, n'est elle pas la seule référence d'un genre nouveau ? Cette atmosphère lancinante, et dans le chant, cette diction si naïve et maladroite en apparence ... ne sont-ils pas tous des outils, non seulement résultant d'un choix volontaire, mais définitivement indispensables et indissociables du concept artistique ?
Sans aucun doute
la découverte metal de cette année 2007,
Neige aura su composer entièrement une œuvre bouleversante sensible et lumineuse, mais aussi un concept esthétique très séduisant. Faisant figure d'ovni dans le monde du metal, «
Souvenirs D'un Autre Monde » est une invitation au rêve et à la mélancolie, un album transporteur qui plaira autant aux amateurs de musique inconditionnelle qu'aux chercheurs de simplicité et de légèreté. Et manifestement l'ami
Neige a plus d'un tours dans son sac, tant mieux, car on attend une suite ! A écouter inévitablement, qu'on soit fan d'
Emperor ou de Radiohead.