Il serait facile de disserter de
Shining avec un seul de leurs derniers albums en date en tête. Depuis IV, les Suédois se sont lancés dans un Black dépressif inspiré ça et là par le blues mélancolique et le flamenco de l’ivresse, délaissant leurs premiers amours très rageurs directement liés au Black’n’roll pur et dur (III : Angst). Après un V : Halmstad, summum de la voie emprunté par
Shining depuis ces dernières années, la bande à Kvaforth sort ce VI : Klagopsalmer au virage aussi grand que l’attente qu’il suscitait.
IV et V symbolisait tout ce que le Black Metal dépressif pouvait offrir de nouveau et d’original, loin des clichés, puisant sa force dans une puissance contenue et des atmosphères travaillées. Force est de constater que Klagopsalmer suit la voie empruntée par Halmstad mais dans une toute autre mesure, plus violente et psychotique.
Ainsi, l’entrée « Vilseledda Barnasjälars Hemvist » est évocatrice de la rage
Shining. Le titre est fracassant, il assomme l’auditeur de riffs lourds et donne à son pauvre cobaye une sensation de jouissance indécente.
Shining semble en forme et ce n’est pas le solo de fin, impressionnant qui nous dira le contraire, de même qu’un Kvaforth surexcité. Un constat de départ intéressant malgré une originalité absente au profit d’une puissance sans équivoque.
Là où Originalité pointe le bout de son nez, c’est ailleurs et ce, en force. « Füllständigt jävla död inuti » arrive comme un souffle psychopathe et dévoile un côté expérimental à la limite du Math-core. Les guitaristes sont déchainés, révélant des capacités techniques plutôt dingues. Entre solis féroces dignes d’un guitar hero (ceux de « Vilseledda Barnasjälars Hemvist » rappellent
Slayer par leur folie) et solis heavy mélodique, les musiciens ne chôment pas, d’autant que la production se révèle à nouveau furieuse et parfaite. « Füllständigt jävla död inuti » permet alors de découvrir l’identité de ce Klagopsalmer : un sombre recueil destiné à mettre en valeur la folie schizophrénique de Kvaforth.
Celui-ci fait d’ailleurs preuve de qualités sur ce dernier opus. C’est bien simple : jamais il n’a aussi bien gueulé et surtout chanté ! Car oui, Kvaforth chante, notamment sur le groovy « Plegoande O'Helga Plegoande » où un court passage permet d’entendre un timide mais réussi chant clair sur fond d’arpège bien connu de la part du frontman.
Mais la surprise réelle délivrée par le groupe se situe encore ailleurs. « Ohm - Skoj Att Leva » est en effet le morceau le plus surprenant de l’album. Ses couplets mélodieux au chant limite parlé et son magnifique refrain en chant clair lui confère une atmosphère planante. L’arpège de fin, étrangement optimiste, laissera la place à une rythmique funky du plus bel effet saupoudrée d’un solo rappelant légèrement Pink Floyd. Magnifique mais vite décevant lorsque l’on s’aperçoit après recherche que ce morceau n’est autre qu’une reprise et non une création originale.
Shining a en effet repris ce titre d’un groupe de goth-rock suédois du nom de Seigmen. Alors, si la surprise première s’essouffle vite, on peut saluer la reprise remarquable, très bien appropriée par le groupe et qui colle parfaitement au reste de l’album.
Klagopsalmer, en dehors de ses qualités premières et de sa visée purement psychologique, renvoyant au personnage de Kvaforth et sa démence, tombe alors dans des pièges qu’il aurait pu éviter. Le principal, et non le moindre, est le morceau « Krossade Drömmar Och Brutna Löften », instrumental et minimaliste, où un arpège mélancolique rappelant ceux d’Halmstad entraine des variantes lentes et dissonantes. Un titre de trop qui coupe un rythme pourtant bien installé. VI, s’il se révèle plus torturé et fou que ses prédécesseurs, n’entraine également que peu d’émotions. Là où Halmstad présentait une musique dépressive et des atmosphères à pleurer, Klagopsalmer utilise des artifices certes efficace pour la beauté mais peu enclins à faire verser une larme à l’auditeur. Les perles permettent alors à VI de décoller aisément. « Ohm - Skoj Att Leva » et « Total Utfrysning » qui se révèle être au final le morceau le plus intéressant de l’album, progressif et mélancolique, avec d’une part ce passage central au piano qu’un homme vient remplir de ses paroles indistinctes, renvoyant encore à Halmstad et dans une moindre mesure à Pink Floyd (encore) et d’une autre cette fin sublime, au piano et violons plus que mortuaires.
VI : Klagopsalmer est un virage de la part des Suédois et un virage qu'il fallait oser prendre, au risque de décevoir. Adieu le Black Metal dépressif de IV et V, bienvenue au style nouveau, encore moins Black, oscillant entre tellement de choses que l’on ne sait plus où
Shining s’est fourré. Un très bon album, encore un, qui se serait bien passé de ce cinquième titre plombant et qui aurait gagné en surplus de richesse atmosphériques là où il a gagné en puissance. L’album le plus travaillé de leur carrière mais peut être le moins envoutant, plus personnel et pourtant moins vécu.