S'agissant d'expression créative musicale, il est souvent de rigueur de détester ceux qu'autrefois nous avons adulés. La nature humaine est ainsi faite que nous finissons généralement par nous lasser d'un art que nous trouvons, au fil du temps qui passe, de moins en moins surprenant, de moins en moins novateur et donc, de moins en moins séduisant. Mais, au fond, qu'y a-t-il de plus iniquement injuste que ce désamour trop souvent basé sur une impartialité subjective?
Autrefois Rhapsody fut le messie qui donna naissance à un culte liturgique sans précédent. Au son de quelques manifestes bibliques, dont notamment les excellents Legendary Tales (1997), Symphony of Enchanted Lands (1998) et Dawn of Victory (2000), il renouvela un genre agonisant parce que sclérosé en des attitudes soient caricaturales, soient en des postures sans inspirations. Rhapsody redonna donc la foi à un peuple égaré. Tant et si bien que, d'ailleurs, ce nouveau culte dépassa le clivage des générations, mais surtout, celui des genres. Ainsi il n'était pas rare d'entendre de taciturnes traditionalistes adeptes de Black Metal, ou de Death, sinon louées les mérites de ces italiens, tout au moins leurs reconnaitre objectivement les talents évidents qui était le leurs.
Bien vite les partisans les plus aguerris de ce groupe comprirent aussi que le destin de ces musiciens serait des plus complexes. Qu'il leur serait très difficile de s'extraire de ce formidable carcan stylistique que pourtant ils avaient eux même créée. Qu'il serait indéfiniment enfermé en des dédales dont chaque renfoncement ressemblerait, à s'y méprendre, à la cavité suivante.
Le groupe continua toutefois de bâtir son édifice sur le socle d'œuvres qui, si elles ne sont pas totalement exemptes de défauts, auront toujours eues le mérite d'exprimer parfaitement une intégrité et une sincérité respectable. Certains disciples se laissèrent pourtant envahir par le doute. Le messie n'avait pas tant changé, mais il leur apparaissait comme moins beau. Sa parole était moins nouvelle. Ses litanies grandiloquentes apparaissaient comme, désormais, familières. Et la ferveur décrue de manière pas nécessairement juste.
Aujourd'hui est un grand jour car voici venir From Chaos to Eternity, dixième album de celui que désormais on se doit d'appeler, pour des raisons obscures et juridiques,
Rhapsody Of Fire et non plus simplement Rhapsody. Décrit comme une évolution naturelle de l'album The Frozen Tears Of Angels, son prédécesseur; ce nouveau récit clôt la fable débuté en 1997 sur la première œuvre du groupe, Legendary Tales. Cinquième et dernier chapitre de cette Dark Secret Saga, dont le noir secret sera finalement révélé, From Chaos to Eternity est, aussi, l'occasion d'entendre, une fois encore, Sir Christopher Lee en tant que narrateur.
D'emblée, à l'écoute de ce nouveau manifeste, il est a noter que bien trop peu d'évolutions bouleversantes sont ici de nature à nous surprendre par rapport à un style musical défendu par le groupe depuis longtemps déjà. Si sa précédente œuvre fut, à l'évidence, bien plus agressive qu'autrefois, la musique de Rhapsody, que votre humble serviteur ne peut décidément, pour des raisons évidentes et nostalgiques, se résoudre que très difficilement à affubler du suffixe "of Fire", garde certaines caractéristiques fondamentales immédiatement reconnaissables. Cette constance à défendre des singularités aussi distinctement indentifiables, constitue, bien évidemment, une formidable vertu pour les fidèles de ce groupe, et un insurmontable vice pour ses détracteurs.
Et en effet, ici encore, il n'y aura point de réconciliation entre les deux camps divisés. Ceux qui sont irrités par cette grandiloquence symphonique, par ces chevauchées épiques d'un Power Metal très mélodique, par ces constructions parfois légèrement Progressive, par cette emphase déclamatoire solennelle presque cinématographique, par ces chants célestes, aux vibratos typiquement italiens, mais aussi, parfois, éraillées et âpres, par ces allégories historico-fantaisistes et par ces synthés omniprésents, seront, une fois encore, exaspéré par ce nouveau Rhapsody.
Toutefois on ne peut définitivement pas se résoudre à ne pas être, même partiellement, séduit, par une telle débauche d'héroïsme, de beauté, de majesté et de virtuosité. Et dans les méandre de ces titres convenue, outres cette agressivité pas totalement nouvelles mais qui apporte un certain regain salutaire à la musique de ces transalpins, il y a l'assurance de plaisir certains. Toutefois cette satisfaction ne parviendra pas véritablement à se délester de cette sensation légèrement désagréable d'avoir à faire à un certain traditionalisme académique. Un classicisme qui, soyons honnête, est d'un degré si remarquable qu'il ferait pâlir d'envie n'importe lequel de ces groupes, notamment allemands, au conservatisme achevé.
En d'autres terme si Rhapsody se démarque, une fois encore, eu égard à ses qualités, remarquablement de la plupart de ses rivaux, il ne parvient plus à se sublimer suffisamment pour égaler un niveau qui fut le sien autrefois. Citons, afin d'étayer cet argument, des titres tels que From Chaos to Eternity, Tempesta Di Fuoco chanté entièrement en Italien, ou encore par exemple, Ghosts of Forgotten Worlds qui, s'ils demeurent superbes, manquent d'audace et de nouveautés.
Seul les admirables Aeons of Raging Darkness, Tornado et I Belong to the Stars parviennent à nous sortir de cette léthargie certes grandiose mais gênante au su des talents de ce groupe.
Les deux premiers nous proposent l'incroyables pugnacité de titres dans lesquels Fabio Lione rugit divinement laissant aller sa voix jusqu'au confins écorchés d'une locution aux liens de parentés évidents avec d'autres formes d'expressions plus extrêmes. Il est à noter, d'ailleurs, que le chanteur fait, une fois encore, un excellent travail sur cet opus nous démontrant magnifiquement tout l'étendu de ses capacités.
Le dernier, quant à lui, développe une virtuosité délicieuse, moins axé, toutefois, sur l'empilement symphonique de rigueur, mais bien plus sur l'emphase de quelque chœurs aux accointances cléricales superbement orchestrés.
L'album se clôt sur un morceau, plutôt agréable, de plus de 19 minutes dans lequel le groupe fait une synthèse de sa musique actuelle. Les puristes fanatiques de ce groupe y retrouveront l'esprit du Rhapsody qu'ils aiment et dont la musique symphonique, à la fois mélodique et majestueuse, s'allient parfaitement à un très bon Power Metal, à la fois âpre et souvent véloce. Toutefois il y a fort à parier que les détracteurs de ces transalpins s'y ennuieront fermement.
Pour conclure, il faut dire, encore et encore, que nul n'est aussi admirable que Rhapsody. Mais que
Rhapsody Of Fire, quant à lui, ne parvient plus véritablement à être aussi brillant que Rhapsody. Comme si, dans ce changement de patronyme, les italiens avaient aussi perdu un peu de leur âme.
Ce From Chaos to Eternity est donc un excellent album mais qui souffre d'un manque d'audace évident.
Rhapsody Of Fire se contente d'y réciter, magnifiquement, ces gammes sans réussir véritablement à nous surprendre (admettons, toutefois que "se contenter" place déjà
Rhapsody Of Fire a un niveau d'excellence enviable eu égard à d'autres mais pas tout à fait digne de son talent). Et si l'on pouvait oser une analogie audacieuse,
Blind Guardian aura bien davantage réussi, avec son At the Edge of Time en transcendant son côté symphonique, à nous séduire que Rhapsody ne l'aura fais ici.