Il est toujours difficile de garder le cap après avoir sorti un chef-d'oeuvre. Demandez donc aux musiciens d'
Helloween ce qu'ils en pensent par exemple. Et
Anthrax, chef de file logique du thrash new-yorkais, peut également témoigner sous serment à la barre. Il ne mentira pas. Avec
Among The Living, les musiciens avaient tout simplement tutoyé les sommets, parvenant à rivaliser sans problèmes avec leurs confrères de la côte ouest. D'une rive à l'autre, le thrash américain avait réellement de quoi mettre le monde à sa botte.
Et puis il y a eu cette volonté de rapidement sortir un successeur à
Among The Living, pour se donner les moyens de participer aux Monsters Of Rock 1988 dont la tête d'affiche n'était autre que
Iron Maiden. Cette année là, la France eut également sa première version de cet évènement avec
Helloween,
Trust, Maiden et
Anthrax pour une soirée d'anthologie. Mais ne brûlons pas les étapes. Le groupe veut participer à cet évènement et rentre rapidement en studio pour enregistrer. Seulement voilà, le fait que tout soit si pressé, dans l'urgence continue d'une deadline qui ne pouvait être repoussée, même en dernier recours, donne un rendu qui sonne bâclé. Et vu le potentiel des musiciens, ça la fout mal.
Pourtant, ça commence bien. Un violoncelle résonne, lugubre, d'une mélodie lancinante qui annonce le riff magistral de
Be All, End All. Le problème, c'est que pour l'entendre, il faut grandement monter le volume de sa chaîne hi-fi. Le son du disque est incroyablement bas, ridiculement bas. Il met directement le doigt sur le grand point faible de l'ensemble : une production à la ramasse qui fait semblant de mettre le thrash d'
Anthrax en valeur : les guitares manquent singulièrement de puissance,
Scott Ian a beau se démener comme un diable, il ne parvient pas à être aussi performant, aussi radical qu'à son habitude. Niveau soli,
Dan Spitz a décidé d'assurer le minimum syndical : son travail est discret, sans envergure. La section rythmique elle est bien en place, mais on pourra reprocher à
Charlie Benante de trop appuyer son jeu, de bourriner parfois inutilement. Et pourtant,
Be All, End All est ce que l'on peut appeler un classique. Pour accentuer, on pourra même dire un
putain de classique. Tout y est : mélodie accrocheuse, hargne bien présente, break monstrueux, refrain fédérateur... Certes,
Joey Belladonna n'est pas à proprement parler le chanteur idéal pour
Anthrax (trop axé heavy metal et fun), mais il donne vie à ce titre qui n'a pas eu la carrière qu'il aurait mérité parce qu'il n'est pas sorti sur le bon album. C'est à dire sur le précédent. Ou le suivant si l'histoire avait été plus clémente avec lui.
Parce que cet album n'est pas l'écrin idéal pour une telle perle. Même si le travail est basé sur le lumineux
Among The Living, il n'en a pas l'éclat. Du sous
Anthrax pourrait-on avancer en étant méchant. Parce qu'il est difficile de trouver des circonstances atténuantes. Mais il y en a. Comme cette reprise fabuleuse du
Antisocial de notre
Trust national en reprenant les paroles de la version anglaise de cette même chanson.
Anthrax se l'approprie en lui attribuant un rythme appuyé. Avec un refrain facile et propice à un mosh endiablé, du pain béni pour la bande à Scott Ian. Puis il y a le remuant
Now It's Dark qui matraque sévèrement, tout comme
Finale qui jouit d'accélérations presque divines.
Puis il y a le reste. Entre un
13 aussi utile qu'une paire de chaussures pour un cul-de-jatte et un
Misery Loves Company qui a dû filer à Stephen King la deuxième jaunisse de sa vie (le titre est inspiré du roman Misery que je vous invite bien entendu à lire) et un
Make Me Laugh dont les passages hardcore ne parviennent pas à s'entendre avec un refrain hors de propos,
State Of Euphoria n'est pas gâté. Et comme à cela s'ajoutent des carences sonores graves, on comprend le manque de vitamine de l'ensemble.
Anthrax joue du sous-Anthrax sur une grande partie du disque qui, de l'aveu même des principaux concernés, à été fait à la va-vite. Ils ont l'honnêteté de le reconnaitre franchement.
State Of Euphoria aurait pu être la suite idéale à
Among The Living si le groupe avait laissé filer plus de temps plutôt que d'envoyer le disque comme un frisbee. Les titres n'ont pas l'épaisseur qui leur conviendrait et du coup, ce qui est sauvable passe souvent, trop souvent à la trappe. Mais bon, il y a de bonnes choses, ce qui empêche d'être totalement négatif et de regarder en arrière avec trop de nostalgie. Mais quel dommage !